Ophélie
Note d’intention de Magali Mougel
Je suis quotidiennement impressionnée et frappée par la violence avec laquelle on peut aujourd’hui être commentateur·ice de tout et de rien, spécialiste de tout et de rien - du climat ou d’une épidémie, des rouge-à-lèvres à la mode comme des défaillances pancréatiques, de l’équilibre acido-basique d’un composte comme des rééquilibrages alimentaires indispensables pour bien passer l’hiver, de la taille correcte d’un pénis comme des angoisses nocturnes d’un nourrisson.
Je suis quotidiennement impressionnée et frappée, par l’impudeur dont nous faisons usage quand nous commentons les mœurs, la vie, la façon de faire, d’aimer… L’impudeur avec laquelle nous avons un avis sur tout, un avis sur le corps de l’autre alors qu’ils se trouvent à deux pas de nous, sous prétexte que ce n’est rien qu’ un·e enfant, une vieille femme ou un vieil homme, un·e malade, un·e inconsciente, un·e handicapé·e.
En écrivant ces mots, je pense au très beau livre PEAU de Dorothy Allison qui écrit ces lignes :
« Changer ton nom, quitter la ville, disparaître, te refaire. Ce qui se cache derrière cette pulsion, c’est la conviction que la vie que vous avez vécue, la personne que vous êtes n’ont pas de valeur, qu’il vaut mieux les abandonner, que fuir est plus facile que d’essayer de changer les choses, que changer soi-même n’est pas possible. »
Aujourd’hui je regarde les images défiler des corps sur les tabloïds, les réseaux sociaux, les pancartes de publicités et j’ai le sentiment de voir des carapaces qui ne semblent plus avoir d’abris pour se reposer. Défilés de corps dont la pensée s’est mise en fuite. Défilés de corps soumis aux agressions perpétuels, aux injonctions, aux obligations. La pensée déserte les corps. On a vidé les peaux.
Lorsque Sylvain Stawski m’a proposé d’écrire un texte poétique qui auraient pour héroïnes une voire des femmes grosses, j’ai eu envie de parler de la façon dont les corps des femmes sont invisibilités sous couvert de mode, d’esthétisme, de respect des normes, d’érotisation conséquence d’une hyper-sexualisation outrancière du quotidien. Mais surtout, j’ai eu à cœur de raconter la façon dont on a peur lorsqu’on se sent nié·e. J’ai voulu interroger la façon dont on pense avoir droit à des choses, au fait qu’on a le sentiment d’appartenir à un monde alors même que celui-ci s’efforce sournoisement à vous oblitérer.
GROSSE EST UN TEXTE SUR L’OBLITERATION.
GROSSE EST UN TEXTE SUR LE SILENCE FORCÉ.
GROSSE EST UN TEXTE SUR CES VOIX PERIPHERIQUES QUI NOUS FAÇONNENT ET MALAXENT.
Dans Grosse les spectateurices sont invité·es à entrer dans la tête et le corps d’Ophélie. Loin de n’être qu’une figure tragiquement romantique, elle recèle en elle celle d’une femme qui n’a pas peur de s’opposer à un certain ordre établi. Ce n’est pas une expérience donneuse de leçon, mais simplement une immersion dans la peur et le doute, les espoirs et les angoisses d’une jeune femme qui tente de vibrer avec harmonie avec les êtres qui l’entourent.